Mesdames, Messieurs les chefs d’État,
Mesdames, Messieurs les parlementaires européens,
Mardi 19 septembre 2023 un peu avant midi, les forces azerbaïdjanaises ont lancé une offensive de grande ampleur tout le long de la frontière avec la République d’Artsakh, en violation du droit international. A Stepanakert, Askeran, Martuni et Martakert, les populations civiles subissent des tirs intensifs d’artillerie lourde depuis hier, les obligeant à se terrer dans les sous-sols ou à évacuer leurs villages, du fait de l’avancée rapide de l’invasion azérie. Alors que l’Azerbaïdjan annonçait ouvrir une voie sûre afin de pouvoir « évacuer » la population civile arménienne, les sources sur place indiquent que ceux qui tentent d’évacuer par le corridor de Latchin subissent des tirs de l’armée azérie.
Un premier bilan communiqué par les autorités d’Artsakh fait déjà état de près de 200 de morts, de plus de 400 blessés et plus de 10 000 personnes déplacées, dont de nombreux enfants. Les civils sont aujourd’hui regroupés dans la base militaire russe près de l’aéroport fantôme de Stepanakert. Le Monastère Armaras du IVe siècle, haut lieu du patrimoine arménien est également passé sous contrôle azéri.
Alors que cette semaine les chefs d’État et les journalistes internationaux avaient les yeux rivés sur l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, l’Azerbaïdjan lançait ainsi une offensive militaire de grande ampleur sur toute la ligne de front, arguant du prétexte fallacieux que les forces de défense arméniennes avaient installé des mines terrestres, occasionnant plusieurs morts au sein des forces armées azéries. Le Ministère de la défense azerbaïdjanais prétendait ainsi déployer une répression anti-terroriste en les mettant « hors d’état de nuire à l’aide d’armes de haute précision sur la ligne de front et en profondeur ». Cette propagande, émanant de la dictature azérie, est souvent reprise au pied de la lettre par les médias internationaux, encourageant l’Azerbaïdjan à poursuivre son entreprise d’épuration ethnique en toute impunité.
Cette stratégie de désinformation permet depuis maintenant de nombreuses années à l’Azerbaïdjan de violer les lois et conventions internationales des Nations Unies qui visent à prévenir les actes de génocide. La reprise de ces fausses informations, les réactions timides voire inexistantes de la communauté internationale ont été autant de signaux envoyés à l’Azerbaïdjan ces derniers mois : personne n’ira vérifier les faits, personne n’interviendra pour empêcher ce qui s’avère être un nouveau génocide des Arméniens.
Cette récente violation du cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 à l’issue de la guerre d’Artsakh de 44 jours intervient après 10 mois du blocus du corridor de Latchin, qui a engendré une crise humanitaire massive, asphyxiant et affamant les 120 000 Arméniens d’Artsakh, dont 30 000 enfants. Le mois dernier, les grandes organisations et agences internationales tiraient la sonnette d’alarme alors que les efforts humanitaires déployés étaient eux-mêmes contrecarrés par les forces azéries. L’ancien procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, publiait un rapport où il caractérisait les agissements de l’Azerbaïdjan comme étant la définition même d’un génocide – famine, privation des moyens vitaux et entrave aux interventions humanitaires d’urgence – insistant sur le caractère imminent de la menace génocidaire.
Malgré les appels de la communauté internationale à ouvrir le corridor de Latchin, et malgré les différents convois humanitaires stoppés à la frontière, y compris celui mené par les grandes collectivités territoriales françaises et acheminé par leurs élus français parmi lesquels la Maire de Paris Anne Hidalgo, le Président de région Xavier Bertrand et le sénateur Bruno Retailleau, l’Azerbaïdjan refusait de cesser son blocus. Le lendemain de leur déplacement, l’Azerbaïdjan lançait une attaque sur le territoire souverain de l’Arménie, occasionnant 4 morts parmi les soldats arméniens. Ainsi, l’Azerbaïdjan poursuit méthodiquement et inlassablement un nouveau génocide arménien aux yeux et dans l’indifférence du monde.
Les autorités d’Artsakh ont conclu un cessez-le-feu grâce à la médiation du contingent russe de maintien de la paix sur place s’accordant sur un cessez-le-feu le 20 septembre, aussitôt violé par les forces azéries. L’accord prévoyait la dissolution et le désarmement complet des formations armées d’Artsakh et aborde la question de la réintégration du territoire d’Artsakh à l’Azerbaïdjan, la garantie des droits et la sécurité des Arméniens. Une réunion est en cours à Yevlakh entre les autorités d’Artsakh et d’Azerbaïdjan, avec la médiation des forces russes. La question de la survie des Arméniens d’Artsakh, est aujourd’hui entre les mains de deux dictateurs. L’arme sur la tempe, les autorités d’Artsakh n’auront d’autres choix que de répondre à cette question : l’exil, ou la mort. Face à ce dilemme, quelle voix s’élèvera pour sauver les Arméniens ?
L’UGAB, la plus grande organisation humanitaire arménienne dans le monde, créée en 1906, était déjà en première ligne lorsqu’en 1915, les Arméniens de l’Empire Ottoman subissaient le premier génocide du XXe siècle. Plus d’un siècle après, l’histoire se répète, une fois encore dans le silence assourdissant des Nations.
Les Arméniens d’Artsakh ne se battent pas seulement pour leur survie, ils luttent chaque jour contre la mort au nom des valeurs que nous défendons, que l’Europe défend, au premier rang desquelles la démocratie, le respect des droits humains et la sauvegarde de notre humanité. C’est pourquoi vous avez aujourd’hui la responsabilité de les protéger.
Car ne nous y trompons pas : si pour les Européens, l’Arménie est le dernier pays de l’Europe orientale ; pour la Turquie et l’Azerbaïdjan, c’est le premier pays qui ouvre la porte vers l’Europe. L’entreprise d’épuration ethnique des Arméniens ne s’inscrit pas seulement dans la continuité du Génocide de 1915, c’est un signal envoyé au monde. En laissant faire, par cynisme et lâcheté, ce n’est pas seulement l’Arménie et l’Artsakh que nous perdons : c’est une partie de notre Humanité et l’Europe qui renonce à elle-même.
Au nom de l’organisation que je préside, je lance un appel à tous les chefs d’État et parlementaires européens à saisir le Conseil de Sécurité des Nations Unies d’une résolution pour exiger la cessation immédiate des attaques à l’encontre des Arméniens, la réouverture inconditionnelle du corridor de Latchin, des sanctions internationales à l’endroit du régime dictatorial azéri et une protection des Arméniens d’Artsakh par la présence de forces de maintien de la paix internationales.
Berge Setrakian
Président de l’UGAB Monde